« Pour cette prochaine année, je décide de manger sain ! » ; avez-vous déjà entendu cette nouvelle résolution de fin d’année dans votre entourage ? Ou bien l’avez-vous déjà prise pour vous-même ? Après les fêtes du mois de décembre, souvent accompagnées de repas parfois copieux, de nombreuses personnes décident de mettre en place une nouvelle façon de s’alimenter. Leur objectif peut être de perdre du poids, de se sentir en meilleure forme, ou autres. Bien qu’il soit légitime et admirable d’entreprendre des changements pour améliorer son bien-être, le fait d’instaurer de nouvelles règles de conduite dans notre quotidien peut parfois devenir obsessionnel. Dans ces cas-là, le nouveau comportement peut être plus problématique qu’autre chose. C’est le cas pour l’orthorexie.
L’orthorexie, un trouble récent
Du grec « orthos » (droit, correct) et « orexis » (faim, appétit), l’orthorexie est un trouble caractérisé par l’obsession pathologique de vouloir manger des aliments jugés comme « sains » pour l’organisme. Les produits étiquetés comme mauvais pour la santé sont bannis de l’alimentation. Les croyances sur les aliments et les motivations liées à ce comportement sont propres aux personnes atteintes de ce trouble. Elles peuvent donc être différentes d’un individu à l’autre. Cependant, bien qu’elles diffèrent, elles mènent toutes à cette même rigidité face aux règles auto-imposées. Dans les cas extrêmes, la personne va préférer ne rien manger, jusqu’à s’affamer, plutôt que de manger un aliment qu’elle considère comme impur et nocif pour l’organisme (Donini et al., 2005).
Obsession et inflexibilité
Vouloir manger sain pour une meilleure santé n’est pas problématique, bien au contraire. Mais c’est l’obsession et l’inflexibilité qui va se former autour de cette volonté qui fait que l’orthorexie peut mettre la personne en difficulté. Son diagnostic a été proposé en 1997 par le physicien américain Steven Bratman (Bratman, 1997).
À ce jour, l’orthorexie n’est pas officiellement reconnue comme un trouble mental. En effet, elle n’apparaît pas dans les classifications internationales – cinquième édition du Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM-5) et dixième révision de la Classification Internationale des Maladies (CIM-10). Ceci peut s’expliquer par le fait que les données de la littérature scientifique ne sont pas encore assez nombreuses et solides pour que l’orthorexie devienne un diagnostic à part entière (Costa et al., 2017). Quelques chercheurs ont tenté de proposer de potentiels critères diagnostiques de l’orthorexie (comme Dunn et Bratman dans leur étude de 2016, pour ne citer qu’eux), mais ceux-ci doivent cependant être considérés avec prudence.
Ce trouble semble avoir certains points communs avec d’autres problématiques mentales telles que l’anorexie, le trouble obsessionnel-compulsif (TOC), la boulimie, le trouble de la personnalité obsessionnelle-compulsive, le trouble à symptomatologie somatique, la crainte excessive d’avoir une maladie ou encore les troubles du spectre de la schizophrénie et autres troubles psychotiques. C’est principalement avec les deux premiers que la confusion peut être faite. Le perfectionnisme, l’impression d’autodiscipline dans la capacité à suivre un régime alimentaire particulier, ainsi que le besoin de contrôle de l’anorexie sont aussi présents dans l’orthorexie (Koven et Senbonmatsu, 2013).
Cependant, si c’est la morphologie et l’image du corps qui sont au centre de l’anorexie, ce sera plutôt la volonté d’optimiser l’état de santé qui dirigera les comportements dans l’orthorexie (Koven et Senbonmatsu, 2013). De plus, c’est la qualité des aliments qui importe dans ce dernier, plutôt que leur quantité, comme c’est le cas dans l’anorexie (Costa et al., 2017). Concernant le TOC, on retrouve dans l’orthorexie des comportements répétitifs et des vérifications comme la pesée des aliments, par exemple. De plus, des pensées à propos de la nourriture sont souvent très présentes en dehors des temps de repas, tournant à l’obsession. En revanche, à la différence du TOC, l’individu souffrant d’orthorexie perçoit son comportement et ses pensées comme étant adaptées et en accord avec ses valeurs (Koven et Senbonmatsu, 2013).
Si ce trouble tend à devenir un véritable diagnostic, y a-t-il les personnes plus à risques de développer une orthorexie ?
Des personnes plus à risques
Certains profils d’individus présenteraient un risque plus élevé de développer ce trouble. En 2019, McComb et Mills ont réalisé une étude répertoriant les facteurs de risques psychosociaux de l’orthorexie. Il ressort de leurs travaux que :
- Le risque de développer une orthorexie augmente avec le niveau de revenus. En effet, on peut supposer que les personnes ayant des revenus élevés ont plus facilement accès à des aliments de qualité et aux connaissances liées à la nourriture.
- La personnalité de l’individu pourrait aussi constituer un risque de développer un trouble orthorexique. Celui-ci serait plus élevé pour les personnes ayant des traits de narcissisme et de perfectionnisme. De plus, une étude de Gleaves et collaborateurs de 2013 s’étant basée sur le modèle du Big Five a mis en avant que le facteur de névrosisme serait associé à l’orthorexie. Une instabilité émotionnelle chez un individu pourrait donc représenter un facteur de risque. Enfin, la présence de tendances obsessionnelles et compulsives chez une personne constituerait un risque plus élevé de développer une orthorexie, par rapport à ceux qui n’ont pas ce type de traits. Parmi ces tendances, on peut citer la présence de rituels impliquant la nourriture, le besoin de suivre des directives, des obsessions sur l’apport calorique des aliments, des obsessions de contamination et de lavage, ou encore des obsessions de vérification.
- L’état psychologique rentrerait aussi en jeu. Les personnes ayant actuellement, ou ayant eu, certains troubles psychologiques seraient plus à risque d’avoir une orthorexie. On peut citer notamment un antécédent de trouble dépressif caractérisé, des pensées suicidaires, de l’anxiété et de la dysmorphophobie. Le prédicteur de l’orthorexie le plus robuste est le fait d’avoir déjà eu un trouble du comportement alimentaire, plus particulièrement l’anorexie et la boulimie.
- Certaines habitudes alimentaires pourraient aussi constituer un risque face à l’orthorexie. De manière générale, le fait d’avoir des préoccupations concernant l’alimentation constituerait un risque. De même, suivre un régime alimentaire serait aussi un risque potentiel face à l’orthorexie. Concernant certains régimes tels que le végétarisme ou le véganisme, quelques études montrent qu’ils seraient des facteurs de risques à développer des tendances orthorexiques. Cependant, d’autres recherches n’ont pas abouti à un tel constat. Ceux-là sont donc à prendre avec précaution.
- Certains résultats d’études suggèrent que les personnes qui ne pas fument pas ou ne boivent pas auraient plus de risques de développer une orthorexie, en comparaison aux individus fumeurs et consommateurs d’alcool.
Les conséquences de l’orthorexie
L’orthorexie peut avoir d’importantes conséquences sur la personne qui en souffre. En effet, par l’aspect rigide des règles et croyances que l’individu va avoir, l’orthorexie peut entraîner des sentiments de culpabilité et de fortes manifestations d’anxiété lorsque la personne fait un écart à la règle (Brytek-Matera, 2012 ; Costa et al., 2017). Elle peut aussi amener l’individu à se renfermer, à s’isoler car sa manière de s’alimenter s’éloigne de la « norme » et peut ne pas être comprise par l’entourage (Koven et Senbonmatsu, 2013). De plus, avec le temps et en fonction des tendances alimentaires qui évoluent, l’orthorexie peut amener la personne à éliminer de plus en plus d’aliments et se retrouver avec une faible variété de produits autorisés à consommer. Cela peut finir par mettre sa vie en danger car elle peut être en état de dénutrition avec une accumulation de carences alimentaires (Costa et al., 2017).
Finalement, l’orthorexie est un trouble récent, pour lequel il reste de nombreux points à éclaircir et pour lequel la place parmi les troubles mentaux n’est pas encore assurée. De futures études pourraient permettre d’affiner ses caractéristiques. Les outils d’évaluation de l’orthorexie n’étant pas encore très précis, il convient de prendre du recul sur certains résultats d’étude. Si toutefois vous vous êtes reconnus dans certaines notions abordées dans cet article, n’hésitez pas à en parler autour de vous et à demander de l’aide. Un psychologue pourrait être à même de vous accueillir et vous aider à comprendre votre fonctionnement.
Si vous avez des difficultés en ce moment. Si vous sentez que malgré des efforts, vous peinez à remonter la pente, n’hésitez pas à demander conseil à un de nos psychologues. Ils sont là pour vous aider.
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Bibliographie
Bratman, S. (1997). The health food eating disorder. Yoga Journal, 45–50.
Brytek-Matera, A. (2012). Orthorexia nervosa: An eating disorder, obsessive-compulsive disorder or disturbed eating habit? Archives of Psychiatry and Psychotherapy, 1, 55–60.
Costa, C. B., Hardan-Khalil, K., & Gibbs, K. (2017). Orthorexia Nervosa: A Review of the Literature. Issues in Mental Health Nursing, 38(12), 980‑988. https://doi.org/10.1080/01612840.2017.1371816
Donini, L. M., Marsili, D., Graziani, M. P., Imbriale, M., & Cannella, C. (2005). Orthorexia nervosa: Validation of a diagnosis questionnaire. Eating and Weight Disorders – Studies on Anorexia, Bulimia and Obesity, 10(2), e28‑e32. https://doi.org/10.1007/bf03327537
Dunn, T. M., & Bratman, S. (2016). On orthorexia nervosa: A review of the literature and proposed diagnostic criteria. Eating Behaviors, 21, 11‑17. https://doi.org/10.1016/j.eatbeh.2015.12.006
Gleaves, D. H., Graham, E. C., & Ambwani, S. (2013). Measuring “orthorexia:” development of the eating habits questionnaire. International Journal of Educational and Psychological Assessment, 12, 1–18.
Koven, N. S., & Senbonmatsu, R. (2013). A neuropsychological evaluation of orthorexia nervosa. Open Journal of Psychiatry, 03(02), 214‑222. https://doi.org/10.4236/ojpsych.2013.32019
McComb, S. E., & Mills, J. S. (2019). Orthorexia nervosa: A review of psychosocial risk factors. Appetite, 140, 50-75. https://doi.org/10.1016/j.appet.2019.05.005