Adolescents et pornographie en ligne : Défis pour le développement affectif et sexuel

Nous allons parlons d’adolescents et de pornographie dans cet article. En effet, dans ma pratique clinique, j’accompagne de nombreux adolescents confrontés à diverses problématiques psychologiques. Les premiers entretiens, consacrés à l’anamnèse et à l’analyse fonctionnelle, offrent également l’occasion d’aborder des comportements à risque couramment rencontrés, tels que la consommation de cigarettes, d’alcool ou d’autres substances psychoactives. Nous allons parlons d’adolescents et pornographie dans cet article.

Avec l’essor massif des réseaux sociaux et des jeux en ligne, j’évalue également la fréquence et les modalités d’utilisation de ces plateformes numériques. Plus récemment, j’ai intégré une nouvelle dimension à cet entretien : l’exploration de l’usage de contenus pornographiques en ligne, afin de mieux comprendre les éventuelles implications sur le développement psychologique et relationnel des adolescents.

La majorité des adolescents visitent et visionnent des contenus pornographiques en ligne. Cette tendance s’explique en grande partie par les « trois A » : Accessibilité, Abordabilité et Anonymat.

Des facteurs identifiés par Cooper dès 1998 ; trois caractéristiques rendant l’utilisation d’Internet, en particulier pour la pornographie, extrêmement attractive et facile d’accès. Les « trois A » ne se limitent pas aux contenus pornographiques, ils s’appliquent également à d’autres usages courants d’Internet tels que la fréquentation des réseaux sociaux, la recherche d’informations ou les jeux en ligne. Ils jouent, néanmoins, un rôle déterminant dans le développement d’usages problématiques ou d’expositions excessives aux contenus numériques, en renforçant l’attractivité et la dépendance (Cooper, 1998). La prise en compte des « trois A » permet d’affiner l’analyse fonctionnelle et d’identifier plus précisément les comportements problématiques liés à l’utilisation d’Internet.

Prévalence de l’exposition à la pornographie chez les adolescents

Les études récentes montrent que l’exposition à la pornographie en ligne est devenue une réalité courante pour les adolescents. Une étude de 2021 menée auprès de jeunes âgés de 14 à 17 ans a révélé que 52 % avaient déjà été exposés à des contenus pornographiques, et 23 % déclaraient une utilisation au moins hebdomadaire (Andrie et al., 2021). Cette exposition précoce est particulièrement préoccupante, car elle survient souvent à un âge où les adolescents n’ont pas encore acquis d’expérience sexuelle « in vivo » avec un·e partenaire. À ce stade du développement, les images et scripts véhiculés par la pornographie risquent ainsi d’exercer une influence disproportionnée sur leurs représentations sexuelles. À l’inverse, l’effet semblerait moins marqué chez des adolescents plus âgés ayant déjà une expérience sexuelle vécue, puisque celle-ci peut ainsi servir de cadre de référence (Dawson et al., 2019).

L’évolution de l’apprentissage de la sexualité chez les adolescents : un changement de paradigme

Il fut un temps où l’apprentissage de la sexualité chez les adolescents se faisait de manière progressive et expérientielle (Cerniglia & Cimino, 2022). Ce cheminement naturel débutait souvent par des gestes simples : le premier bisou, les câlins, les caresses, le french kiss, le sexe oral, pour aboutir, éventuellement, à la pénétration vaginale. Cette exploration était accompagnée et façonnée par l’expérience vécue, les discussions entre pairs, les conseils plus ou moins explicites des parents et les programmes d’éducation sexuelle dispensés par l’école. L’accès à des contenus à caractère pornographique restait exceptionnel pour la majorité des jeunes, principalement en raison des barrières sociales et matérielles qui entouraient ces contenus. Consulter un magazine pour adultes ou louer un film pornographique impliquait un effort considérable ! Il fallait, en effet, se rendre physiquement dans un kiosque à journaux ou un vidéoclub, assumer le regard des autres, faire face à un sentiment de gêne et débourser une somme d’argent pour y avoir accès. Ces obstacles rendaient la pornographie peu accessible et, par conséquent, peu influente dans le développement des représentations sexuelles des adolescents. 

Les temps actuels des adolescents et de la pornographie

Aujourd’hui, cette réalité a radicalement changé. Avec l’accessibilité, l’anonymat et l’abordabilité qu’offre Internet (Cooper, 1998), la pornographie est devenue omniprésente et d’une facilité d’accès déconcertante. En effet, il suffit de deux clics pour y avoir accès, quel que soit l’âge de l’utilisateur… 

Ainsi, il devient important, pour les professionnels de la santé mentale d’intégrer cette dimension dans leur pratique clinique puisque la consommation précoce et régulière de contenus pornographiques influence non seulement les représentations et les croyances relatives à la sexualité chez les adolescents, mais également leurs comportements, interactions et attentes relationnelles et sexuelles.

La phase des relations de pairs et amoureuses

L’adolescence est une période charnière, marquée par des changements biologiques, cognitifs, sociaux et émotionnels majeurs. Le développement de la sexualité à cette étape a des implications significatives pour la formation de l’identité, les motivations, les expériences émotionnelles et les compétences relationnelles (Suleiman & Harden, 2016).

Avant la puberté, la famille constitue le principal noyau social de l’enfant. Toutefois, avec l’arrivée de la puberté (en moyenne vers 11-12 ans), un intérêt accru pour la sexualité émerge, accompagné d’une quête d’intimité, de curiosité corporelle et d’une comparaison accrue avec les pairs. À ce stade, la masturbation et les premières expérimentations relationnelles jouent un rôle central dans la construction d’une image corporelle positive et dans l’éveil des premières sensations sexuelles.

L’augmentation marquée de l’intérêt sexuel coïncide généralement avec l’adrénarche, la première phase de la cascade hormonale de la puberté, qui culmine autour de l’âge de 10 ans. Bien que moins de 2 % des adolescents soient sexuellement actifs à 12 ans, ce chiffre atteint 71 % à 19 ans (Singh et al., 2014). Cette transition s’accompagne inévitablement d’une explosion de discussions, de blagues, de recherches en ligne et d’une curiosité accrue pour le sexe (Kunkel et al., 1999).

L’apprentissage des relations amoureuses et intimes

Les adolescents commencent à développer des relations amoureuses durant cette phase, bien que ces relations soient souvent plus brèves et moins intenses émotionnellement que celles des adultes. Toutefois, ces expériences amoureuses constituent des opportunités d’apprentissage essentielles. Elles contribuent au développement de l’identité, influencent les croyances sur soi et sur les autres, et favorisent l’acquisition de compétences relationnelles nécessaires pour les relations futures (Furman et al., 2009; Furman & Shaffer, 2003).

Facteurs relationnels complexes

La construction de l’identité sexuelle et relationnelle s’étale sur plusieurs années, débutant à la puberté et se poursuivant à l’âge adulte. Les professionnels de la santé mentale jouent un rôle clé dans l’accompagnement des adolescents pour promouvoir un développement sain et équilibré, en prenant en compte l’impact des influences externes telles que la pornographie et les médias. Le modeling des pairs y contribue également. L’importante plasticité cérébrale des cerveaux des adolescents contribue à donner davantage de poids aux évènements vécus pendant ces années. 

Étant donné l’intensité de l’instinct sexuel et les nombreux changements corporels et biologiques qui accompagnent la puberté, il est compréhensible que ces transformations puissent également engendrer de l’anxiété et des préoccupations chez les adolescents. Ces inquiétudes, souvent complexes et multifactorielles, méritent d’être abordées avec des professionnels de la santé mentale.

Grâce à une analyse fonctionnelle approfondie, il devient possible d’explorer avec l’adolescent les origines de ses difficultés, d’identifier les facteurs déclencheurs et les schémas sous-jacents. Cette démarche permet de l’accompagner vers une compréhension plus saine de sa sexualité, tout en favorisant un développement sexuel équilibré et épanoui.

Nous sommes donc amenés à nous poser des nouvelles questions éthiques et cliniques :

Comment aborder la pornographie avec les adolescents dans l’entretien clinique ?

Aborder le sujet de la pornographie dans l’entretien clinique avec des adolescents ou leurs parents nécessite tact, ouverture et un cadre bienveillant. 

• Créer un climat de confiance :
  Il est important de normaliser la discussion autour de la sexualité pour éviter toute stigmatisation. Posons des questions ouvertes et neutres pour encourager l’expression sans jugement, par exemple :
  « Il y a aujourd’hui beaucoup d’accès à des contenus en ligne sur la sexualité, comme la pornographie. Est-ce que tu en as entendu parler ou y as-tu été exposé ? »
• Explorer le contexte et les attitudes personnelles :
  Évaluons comment l’adolescent perçoit la pornographie, ses motivations pour la consommer (curiosité, pression sociale, isolement) et l’impact ressenti.
• Adopter une approche psychoéducative :
  Informons les adolescents et leurs familles sur les caractéristiques de la pornographie (représentations souvent irréalistes, absence de consentement explicite dans les contenus, etc.) tout en expliquant pourquoi cela peut être une influence importante sur leur développement.
• Recommandations pratiques pour les cliniciens :
  Proposons des outils ou des questions spécifiques pour introduire ce sujet, et insistons sur la nécessité de maintenir un cadre éthique, où les valeurs du jeune sont respectées.

Quel impact a la pornographie sur le développement affectif et sexuel de l’adolescent ?

• Effets cognitifs et émotionnels :
  La pornographie peut influencer les croyances sur les relations, le consentement et les attentes sexuelles. Certains adolescents peuvent développer des attentes irréalistes ou un détachement émotionnel face à la sexualité réelle.
• Impact sur les relations interpersonnelles :
  Discutons avec l’adolescent de la manière dont la consommation excessive ou précoce peut interférer avec la capacité à établir des relations authentiques, basées sur l’intimité et le respect mutuel.
• Développement des valeurs sexuelles :
  Soulignons que la pornographie peut parfois exacerber les stéréotypes de genre ou véhiculer des images de domination/soumission. Expliquons comment cela peut nuire à l’apprentissage de la communication saine et du respect dans les relations.
• Perspectives positives et nuancées :
  Évitons une approche alarmiste en reconnaissant que certains adolescents utilisent la pornographie pour répondre à des questions sur la sexualité. Mettons l’accent sur l’importance d’une éducation sexuelle adaptée pour contrer les effets négatifs et renforcer un développement affectif sain. Nous pouvons fournir des suggestions concrètes pour accompagner les jeunes et leurs familles, comme des ateliers sur les relations saines ou des ressources éducatives adaptées.

Bibliographie

Andrie, E., Sakou, I., Tzavela, E., Richardson, C., & Tsitsika, A. (2021). Adolescents’ Online Pornography Exposure and Its Relationship to Sociodemographic and Psychopathological Correlates: A Cross-Sectional Study in Six European Countries. Children, 8, 925. https://doi.org/10.3390/children8100925

Cerniglia, L., & Cimino, S. (2022). Some Considerations about Pornography Watching in Early Adolescence. International Journal of Environmental Research and Public Health, 19(17), Article 17. https://doi.org/10.3390/ijerph191710818

Cooper, A. (1998). Sexuality and the Internet: Surfing into the new millennium. CyberPsychology & Behavior, 1(2), 187–193. https://doi.org/10.1089/cpb.1998.1.187

Dawson, K., Tafro, A., & Štulhofer, A. (2019). Adolescent sexual aggressiveness and pornography use: A longitudinal assessment. Aggressive Behavior, 45(6), 587–597. https://doi.org/10.1002/ab.21854

Furman, W., Low, S., & Ho, M. J. (2009). Romantic Experience and Psychosocial Adjustment in Middle Adolescence. Journal of Clinical Child & Adolescent Psychology, 38(1), 75–90. https://doi.org/10.1080/15374410802575347

Furman, W., & Shaffer, L. (2003). The role of romantic relationships in adolescent development. In Adolescent romantic relations and sexual behavior: Theory, research, and practical implications (pp. 3–22). Lawrence Erlbaum Associates Publishers.

Kunkel, D., Cope, K. M., Farinola, W. J. M., Biely, E., Rollin, E., & Donnerstein, E. (1999). Sex on TV: A Biennial Report to the Kaiser Family Foundation. Kaiser Family Foundation, 2400 Sand Hill Road, Menlo Park, CA 94025 (Free Publication #1458). https://eric.ed.gov/?id=ED445372

Singh, S., Darroch, J. E., & Ashford, L. S. (2014). ADDING IT UP: The Costs and Benefits of Investing in Sexual and Reproductive Health 2014. Guttmacher Institute. https://www.jstor.org/stable/resrep32797

Suleiman, A. B., & Harden, K. P. (2016). The importance of sexual and romantic development in understanding the developmental neuroscience of adolescence. Developmental Cognitive Neuroscience, 17, 145–147. https://doi.org/10.1016/j.dcn.2015.12.007