Les obsessions et compulsions liées à des événements réels (Real event OCD)

Article écrit en collaboration avec Maelys Delmotte, étudiante en psychologie, inspiré de l’article Real Event OCD: What it is and how to get help

Sophie nous raconte: 

…lorsque j’étais en 6e au collège, j’ai souhaité du malheur à une fille de ma classe qui m’embêtait lors d’une dispute. J’étais un peu chipie à l’époque. J’ai appris récemment qu’elle se battait contre une maladie grave. J’ai eu une peur intense que ça soit de ma faute qu’elle soit tombée malade puisque je le lui avais souhaité… Je n’arrête pas d’y penser. J’essaie de rationaliser mais ça ne marche pas. Mes pensées m’angoissent trop. Je tourne en boucle dans ma tête…

Les obsessions et compulsions liées à des événements réels font partie des troubles obsessionnels et compulsifs (TOC). Celles-ci se caractérisent par des pensées intrusives, des obsessions et des comportements compulsifs à propos d’un événement passé de la vie de la personne. Généralement, c’est une situation qui provoque un sentiment de culpabilité et de honte pour la personne, en fait elle sent coupable d’avoir agi de telle manière. Elle redoute d’être une mauvaise personne à cause de ce qu’elle a pu faire. La culpabilité et la honte envahissent la personne. Elle n’arrive pas à s’en détacher.

L’adolescence, une période ambiguë

Souvent, ce sont des souvenirs liés à l’adolescence, mais pas seulement. En effet, c’est une période sensible, qui amène, plus facilement que d’autres périodes de la vie, des situations ambigües ou des actions regrettables. Nous testons en quelque sorte nos limites pendant cet âge-là, et il arrive que ces limites soient “dépassées”, ce qui peut engendrer du regret plus tard. 

Béatrice nous raconte: 

…lorsque j’étais adolescente j’ai eu plusieurs relations sexuelles avec différents partenaires. Aujourd’hui, je suis fiancée et en couple depuis 2 ans et je vais me marier. Quand je repense à ces relations sexuelles de mon adolescence, j’ai honte. Je culpabilise. J’ai peur que les gens sachent ce que j’ai fait. Je n’ose pas parler de ce passé avec mon fiancé. J’ai peur d’être perçue comme une fille facile, une allumeuse. Pour me rassurer, je passe des heures sur internet, sur les forums pour demander à des inconnus de définir ce que signifie “fille facile” ou “allumeuse”. Parfois cela me rassure un peu. Dès que j’entends parler de “allumeuse” à la télé ou à la radio, j’angoisse de nouveau, comme si cela me concernait personnellement…

Les trois temps des TOC

Dans les TOC de manière générale, on distingue trois temps, la pensée intrusive, les obsessions, qui entraînent ensuite les compulsions.
Dans les TOC liés à des événements réels, on en distingue trois : le souvenir de l’événement d’abord, qui se manifeste par une pensée intrusive. Puis l’obsession liées à cet événement (avec les pensées, les images, les émotions, qui sont généralement exagérées et irrationnelles). Et finalement la compulsion pour soulager l’angoisse temporairement.

Le souvenir imprécis d’un événement devient est une source d’angoisse

Parfois le souvenir d’un événement reste flou. En effet, la mémoire n’est pas infaillible. A savoir, la majorité de nos souvenirs sont incomplets. Nous ne sommes pas toujours capables de nous souvenir de chaque détail d’un événement ou d’une situation passée. Dans le cas d’obsessions et de compulsions liées à un événement réel, la personne redoute que ces « trous de mémoire » soient en fait des actions mauvaises de leur part. Puisque le souvenir est incomplet, elle craint d’avoir fait quelque chose d’horrible sans s’en souvenir.

Thomas raconte:

… lorsque j’étais ado, je gardais les enfants de notre voisine, les enfants avaient 6 et 7 ans. J’ai peur que j’ai pu leur faire des attouchements. Je n’ai pas de souvenirs de ça, mais nous avons parfois pris le bain ensemble dans leur piscine et une fois nous étions nus. Je m’en veux d’avoir pris un bain nu avec eux. Et si je leur faisais des attouchements sans m’en souvenir! Quelle horreur! J’ai peur d’être pédophile. Je les cherche sur internet, pour me rassurer qu’ils vont bien. Je me dis que s’ils vont bien c’est qu’ils n’ont pas subi d’attouchements… J’évite leur maison quand je vais chez mes parents… 

Thomas dépense beaucoup d’énergie pour se rassurer à propos d’un événement passé durant lequel il aurait fait quelque chose de potentiellement immoral ou mauvais, mais pour lequel il n’a pas de souvenir précis. Les doutes l’angoissent et il n’arrive pas à s’en détacher.

Justin nous raconte:

… il y a 2 mois, en rentrant du travail j’étais épuisé et complètement absorbé dans mes pensées. J’avais bu deux verres avec mes collègues de travail. J’ai conduit jusqu’à la maison “en pilote automatique”, sans vraiment faire attention. Le lendemain matin, je me suis demandé si je n’avais pas écrasé quelqu’un sans m’en rendre compte. Depuis je n’arrive plus à arrêter de penser à ça. Je regarde tous les jours, les journaux et les informations pour vérifier que personne ne soit mort près de chez moi d’un accident de voiture…

Distinguer les obsessions et compulsions liées à des événements réels de la culpabilité adaptative

Culpabilité adaptative

Tout le monde peut ressentir du doute, du regret ou de la culpabilité à l’égard d’une situation passée. Les émotions sont aussi adaptatives car elles peuvent nous signaler que nous avons fait quelque chose qui est contraire aux principes moraux. La plupart du temps, la culpabilité nous sert de punisseur émotionnel pour supprimer un comportement.

Théa nous raconte:

…il y a quelques années, j’étais dans un restaurant avec une copine, à la fin du repas, ma copine me propose de partir sans payer la note. Alors que j’ai hésité, je l’ai quand même suivie et nous avons quitté le restaurant comme des voleuses… Le lendemain, je me suis sentie terriblement mal. Je me sentais coupable et j’avais honte de moi. Je me suis dit “Jamais plus je ferai quelque chose de pareil”. Je n’ai évidemment pas répété cette action. Aujourd’hui, j’en rigole, même si je n’en suis pas fière…

Ainsi, le sentiment de culpabilité reste adaptatif et cela ne va pas forcément plus loin. La culpabilité est un sentiment désagréable car elle nous signale que nous avons fait quelque chose de mal. Ressentir de la culpabilité n’est pas mauvais en soi. Dans une certaine mesure, cela nous permet de tirer les enseignements nécessaires d’une situation dans laquelle nous avons mal agi.

Notre équipe de psychologues

Avez-vous besoin de consulter un psychologue?

Culpabilité disproportionnée

Dans la même situation, une personne souffrant de TOC liés à un événement réel serait prise par des obsessions. Parfois à tel point que la culpabilité associée à cet événement soit aussi forte que si la personne avait commis un crime terrible. La honte s’associe donc généralement à la culpabilité, de manière si intense que cela peut entraver ses capacités à agir ou penser correctement. 

Justin continue:

… lorsque je repense à ce soir-là où je rentrais du travail absorbé dans mes pensées, cela me bloque complètement. Je n’arrive pas à penser à autre chose. Et si j’ai vraiment blessé ou pire écrasé quelqu’un ? Voire même tué ? En plus je serai parti sans l’aider ? C’est horrible. Je suis un criminel? Si les gens savaient, alors ils me jugeraient sévèrement…

Le principal enjeu dans ce cas est la valeur que la personne s’attribue : “suis-je une mauvaise personne ?”, “Est-ce que cet événement veut dire de moi que je suis une personne horrible ?”.

Les pensées intrusives entraînent des obsessions

Le plus souvent, les pensées intrusives semblent venir de nulle part. Soudainement une pensée intrusive arrive à l’esprit de la personne. Cette pensée intrusive commence à l’obséder et engendre une angoisse très forte, jusqu’à l’empêcher de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre. Sophie se rappelle quand elle a su que son amie du collège était atteinte d’un cancer grave.

Sophie continue: 

…quelle honte d’avoir souhaité le malheur à cette amie en 6e. C’est peut-être de ma faute qu’elle soit malade aujourd’hui. Si je ne lui avais pas souhaité ce malheur, peut-être qu’elle n’en serait pas là. Je suis vraiment une personne horrible…

Les TOC liés à des événements réels, les compulsions 

La peur liée à ces pensées peut entraîner différents types de compulsions, que la personne va effectuer afin de se rassurer et de tenter de diminuer l’angoisse que les obsessions provoquent.

Les personnes ruminent fréquemment. Ce qui consiste à rejouer mentalement l’événement en question encore et encore jusqu’à ce que la personne ait le sentiment d’y voir plus clair et se sentir soulagée. Généralement, l’effet est de courte durée et les pensées obsessionnelles reviennent ce qui entraîne un cercle vicieux.

Il y a également la recherche de réconfort. Cela peut se manifester par le fait de demander à être rassuré par son entourage, 

Béatrice demande à ses amies et à sa soeur:

…vous avez couché avec combien d’hommes dans votre vie?… comment décririez-vous une femme allumeuse?….pensez-vous que je suis une fille facile?…

Enfin, il y a la confession. Ce peut être envers les personnes concernées par la situation à l’époque où cela s’est produit, mais aussi auprès de figures d’autorités. Parfois même, ces confessions peuvent être à propos de choses qui ne sont pas réellement arrivées, mais au sujet desquelles la personne a des doutes. 

Justin raconte:

…après avoir passé des heures sur internet à chercher s’il y avait des personnes ayant subi des accidents de voiture. J’ai raconté à ma femme, que je redoutais d’avoir ecrasé quelqu’un. Elle m’a dit que je ne m’inquiétais pour rien, que ma peur était disproportionnée et pas raisonnable… alors je suis allé à la police pour leur demander si personne ne s’était fait écraser récemment. Je leur ai dit que si quelqu’un venait pour ça et que l’accident avait eu lieu tel jour, c’est que c’était certainement moi qui l’avait écrasé…je leur ai quand même précisé que je souffrais de TOC…

Les expositions avec prévention de la réponse, le traitement préconisé pour les obsessions et compulsions liées à des événements réels

La thérapie d’exposition avec prévention de la réponse est le traitement préconisé pour les TOC et aussi pour les obsessions et compulsions liées à des événements réels.

La thérapie d’exposition est une technique issue des thérapies cognitives et comportementales. Elle consiste en une exposition répétée aux pensées intrusives et les obsessions, sans réaliser la compulsion associée. Autrement dit, l’objectif est de s’habituer aux pensées intrusives, sans répondre par le comportement réalisé habituellement. Le principe de l’exposition postule que le fait de céder à la compulsion lorsque les pensées intrusives s’imposent renforce le mécanisme du TOC (obsession puis compulsion).

Réduction de l’angoisse avec l’habituation

En s’entraînant à ne plus céder aux compulsions, le cerveau apprend une nouvelle manière de répondre aux obsessions. Cela permet de réduire significativement l’anxiété. Lorsque l’émotion est moins intense, il devient possible de prendre du recul sur ces pensées obsessionnelles, il devient plus simple de les rationaliser.

  • Par exemple, c’est à cause de ce que j’ai dit que cette amie est tombée malade, 20 ans plus tard? Si c’est vrai, qu’est-ce que je peux faire aujourd’hui?
  • Suis-je un pédophile? Si c’est vrai, qu’est-ce que ça impliquerait? Qu’est-ce que je peux faire aujourd’hui?
  • Suis-je une allumeuse? Qu’est-ce que ça change ? Qu’est-ce que je peux faire aujourd’hui par rapport à ça ?  

Cela peut surprendre mais pousser la personne dans ses retranchements, l’inciter à faire face à ses pensées angoissantes, lui permettra de s’exposer et de s’y habituer. L’habituation permet de diminuer l’angoisse. Ainsi, les pensées intrusives perdent progressivement leur caractère pressant, angoissant, et en même temps, leur pouvoir sur les compulsions.

En se confrontant à ces obsessions, accompagné par un professionnel formé aux TCC et dans le cadre d’une thérapie comportementale et cognitive, la personne deviendra capable de mettre les obsessions à distance et de relativiser les pensées intrusives. 

Retour en haut