Sommes-nous victimes de notre intelligence ?

« Je deviens toute rouge quand je dois me présenter à quelqu’un que je ne connais pas. J’ai trop honte, rougir c’est vraiment ridicule. Je me dis que je suis nulle. Je me sens terriblement découragée. Je ne serai jamais normale… je n’aurais jamais de nouveaux amis.  »

Anna est une jeune patiente de 20 ans qui souffre de solitude liée à la difficulté de lier des amitiés. Elle décrit bien son besoin de lien social mais aussi la fuite et l’évitement de nouvelles rencontres. Nous avons fait ensemble une analyse fonctionnelle pour comprendre le déroulement d’un situation type. Anna décrit des pensées et émotions qui la submergent lorsqu’elle doit se présenter lors d’un diner. Une peur de rougir, des idées de jugement « je suis complètement incompétente, ils vont me prendre pour une idiote ». Elle prend conscience de cet enchainement « d’expériences internes » qui se fait automatiquement, d’émotions et pensées. 

Nombreuses sont les personnes qui ne font pas attention a ce qu’ils se disent (les pensées) ou à l’émotion qui surgit. Pourtant les pensées et émotions interagissent et s’influencent mutuellement. Lorsque Anna se dit « je suis nulle », cette pensée nourrit la honte. Ces micro-évènements passent inaperçus, jusqu’au moment où on décide d’y apporter l’attention.

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« Je me sens nulle »

Des millions de pensées 

Nous avons des millions de pensées et images mentales qui se présentent à nous tous les jours. Cela va des pensées automatiques à des pensées très élaborées. De l’idée d’aller à la plage au concept abstrait de relativité. Notre esprit peut en effet nous amener du monde concret dans le présent à la dimension abstraite de la réalité. A travers ces processus mentaux et cognitions nous élaborons des concepts, créons de lien entre eux et produisons des nouvelles connaissances. Tout cela se fait automatiquement. 

Raisonner se rapproche parfois à créer un modèle mental de l’expérience du monde, à partir de ce que nous avons déjà appris et ce que nous vivons dans le moment présent. Ce « modèle mentale » est également un moyen d’économie, puisque nous n’avons pas besoin de reconstruire notre représentation du monde continuellement. Nous pouvons nous appuyer sur celui qui est déjà existant et focaliser notre attention sur des nouveaux éléments ou situations. 

Les pensées, éléments d’intelligence humaine

Nous sommes l’espèce suprême alors que nous ne sommes pas d’une force suprême. Notre constitution musculaire est de faible taille comparée aux animaux. Et nous ne sommes vraiment pas rapides. Même un chien nous dépasse en vitesse sans problème… 

Même un chien nous dépasse en vitesse sans problème… 

Comment avons-nous survécu, alors que nous sommes entourés des prédateurs plus forts et plus rapides que nous ? En effet, notre appareil cognitif est un complexe système unique à l’être humain. 

La capacité de représentation du monde nous permet d’anticiper ce qui va se passer. Par exemple, nous n’avons pas besoin d’atteindre l’accident pour savoir que si nous ne tournons pas le volant, la voiture va s’écraser contre le mur de la maison. Ou si nous voyons une personne entrer par la porte dans une pièce nous savons qu’elle est à l’intérieur. Nous pouvons aussi imaginer et ressentir la tristesse de notre enfant qui s’est fait moqué par ses copains ou nous pleurons lorsque nous regardons un film triste car nous nous mettons à la place des personnages.

Notre expérience, la connaissance du monde, de nous-mêmes et des autres nous permettent d’aller au-delà du visible afin de construire l’invisible. Nous sommes capables de faire des liens entre évènements (le bruit de la clé dans la serrure et la porte qui s’ouvre), entre évènements et conséquences (si je ne finis pas mon dossier à temps, alors mon supérieur sera mécontent). 

Notre appareil cognitif est un complexe système unique à l’être humain.

La place prépondérante du langage

Le langage joue un rôle prédominant pour l’espèce humaine. Il permet de verbaliser l’expérience visible et exprimer nos ressentis et pensées. Notre mémoire créé des traces mnésiques de ce que nous percevons en interactions avec nos pensées et puis nous mettons en rapport ces éléments. Ce mémoire sémantique organisé en réseau a des connexions. Imaginez des nœuds ou chaque nœud représente un élément précis tel qu’un mot, une émotion, une phrase, une image, une sensation etc. 

Les nœuds qui partagent la même émotion sont plus proches et plus homogènes. Ainsi, les expériences de joie sont opposées à celles de tristesse et les deux peuvent s’inhiber. Par exemple, lorsque nous pensons à une personne que nous aimons, nous ressentons des sensations de chaleurs, de la joie, on peut visualiser cette personne et peut-être nous formulons dans nos pensées « je l’aime ». L’évocation des indices active des images, des souvenirs, des sensations, des émotions et des pensés connexes. 

Elle est très anxieuse dans des situations sociales.

L’anxiété sociale de notre patiente

Revenons à notre patiente, Anna. Elle est très anxieuse dans des situations sociales. Elle a toujours été timide. Les personnes inconnues activent « le nœud » émotionnel anxiété. Au collège, Anna était victime de harcèlement et aujourd’hui elle pense systématiquement qu’elle ne sera pas accepté par autres. Elle se voit comme complètement « nulle » en habilités sociales. Le regard de l’autre est associé à l’idée qu’elle sera jugée. Elle pense être inadaptée. Ces pensées sont liées à l’idée de la honte et à l’anxiété. Ces émotions sont très inconfortables et Anna a tendance à vouloir éviter des situations qui pourraient engendrer cet inconfort. 

Ainsi, pour Anna, de nombreux éléments constituent son réseau d’anxiété sociale. Elle n’en est pas consciente mais plutôt victime d’une activation systématique d’anxiété, d’images mentales, d’émotions et de pensées automatiques en lien avec la situation de rencontre avec des inconnus. Ces situations sont « l’interrupteur » de la l’anxiété. Anna a tendance à éviter des situations où il y a des inconnus car elle veut éviter de souffrir d’anxiété et de honte.

En effet, cette jeune femme semble piégée. Le réseau sémantique d’anxiété sociale se répète et l’anxiété se propage dès qu’un événement lié à ce nœud est activé. Cependant, elle souffre de plus en plus, car il y a une envie forte d’avoir une vie sociale riche avec des amis proches. Anna aimerait partager sa vie avec un homme, mais actuellement son handicap l’empêche complètement de faire de nouvelles connaissances.

Les thérapies cognitives et comportementales soignent l’anxiété

En thérapie, nous allons mettre en relief le réseau sémantique lié à son anxiété sociale. Les différents éléments permettront de comprendre la problématique. La répétition des comportements d’évitement ne fait que renforcer les schémas sous-jacents. Il faut cesser la répétition car celle-ci est le composant central au cercle vicieux maintenant les difficultés.

Les pensées automatiques d’Anna « je suis nulle », « je ne suis pas normale », l’empêchent de dépasser la peur puisqu’elles la nourrissent. Plusieurs techniques permettent de repérer ces pensées négatives et les rationnaliser. Enfin nous chercherons à diminuer leur impact sur les émotions de la patiente. On dira aussi qu’on cherchera à affaiblir la connexion du réseau sémantique. 

En effet, lors d’une thérapie TCC, le thérapeute aidera le patient à « restructurer » ces pensées dysfonctionnelles. Ces dernières n’aident en rien la patiente dans sa vie, au contraire, l’empêchent plutôt de vivre la vie qu’elle souhaiterait avoir. 

Une autre technique cognitive de distanciation par rapport aux pensées provient de la thérapie d’acceptation et d’engagement. Son but est de rationaliser et diminuer l’impact afin d’amener le patient à considérer les pensées comme des purs produits de notre esprit. La véracité n’est pas questionnée mais leur utilité. Est-il utile et aidant de penser « je suis nulle » ?

D’autres techniques consistent à progressivement aller à l’encontre de la peur. En s’exposant, au lieu d’éviter, la personne gagne petit à petit en confiance. Cela revient à créer des nouvelles connexions dans le réseau. En effet, en affaiblissant certaines et en créant et renforçant d’autres, on arrive à mettre en place des nouveaux comportements qui sont plus positifs pour la patiente.

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La thérapie en ligne par vidéo-consultation.

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